Infos locales Ecologie Politique locale

A quoi joue la viticulture à Vienne Condrieu agglo ? A chasser les nuages

Parler de jeu n’est pas usurpé lorsqu’on évoque une pratique qui n’a aucune assise scientifique.
Plutôt que la danse de la pluie, sur Vienne et Condrieu, on nous propose le silence du tonnerre.

Le 13 janvier dernier, le bureau des recherches géologiques et minières (BRGM), nous alertait sur le niveau des nappes d’eaux souterraines. « Les pluies infiltrées durant l’automne sont très insuffisantes pour compenser les déficits accumulés durant l’année 2022 et améliorer durablement l’état des nappes. En conséquence, plus des trois-quarts des nappes restent sous les normales mensuelles avec de nombreux secteurs affichant des niveaux bas à très bas. Les niveaux sont nettement inférieurs à ceux de décembre de l’année dernière ». Les arrêtés sécheresse se poursuivent à l’heure actuelle dans certains départements, bien au-delà des mois d’été. La question de la ressource en eau est ainsi posée, notamment celle des précipitations, ses aléas et les paramètres humains qui les influent.
Il semble donc que les paramètres anthropiques doivent être analysés afin de réduire autant que faire se peut, les conséquences sur notre bien commun le plus précieux. En particulier, les dispositifs de lutte contre la grêle, accusés parfois par la doxa populaire d’"empêcher la pluie de tomber".
En France, la lutte contre la grêle repose sur différentes techniques :
- Les canons anti-grêle, qui fonctionnent grâce à un mélange de gaz explosif (comme l’acétylène) avec de l’air, et qui émettent des ondes suite à l’explosion à hauteur de 130Db toutes les 5 secondes. Météo France annonce et répète qu’une évaluation de l’efficacité de tels dispositifs est impossible et quant au ministère il avance une efficacité qui ne dépasserait pas les 30 %. Les arboriculteurs du sud de Vienne utilisent cette technique depuis longtemps.
- Les générateurs à iodure d’argent sont composés d’une bouteille d’air comprimé, d’un réservoir d’acétone et d’iodure d’argent et d’une chambre de combustion. Cette diffusion des cristaux d’iodure d’argent provoque la formation des grêlons dans les nuages. Ceux-ci sont alors plus nombreux, mais plus petits et provoquent moins de dégât, quand ils ne fondent pas avant d’arriver au sol. Aujourd’hui 143 appareils couvrent la Bourgogne, 28 générateurs sont installés dans les vignobles d’Indre-et-Loire et 108 appareils protègent le Bordelais. Cette méthode est soupçonnée de polluer les sols ! L’ été dernier ils n’ont pas suffi face à la violence des orages, à limiter la casse dans le bordelais.
- Les filets anti-grêles sont l’unique moyen de protection reconnu par les compagnies d’assurance en France et qui réduit la prime annuelle des producteurs. Ce système est un des moyens de protection anti-grêle les plus fiables du marché mais il n’en est pas pour autant sans inconvénient (coût d’installation, baisse d’ensoleillement, impossibilité de déploiement quand les arbres sont en fleurs, …). Ce système est rarement installé sur des exploitations agricoles importantes du fait de son coût d’installation et de manutention très onéreux pour les grandes superficies.
- Enfin, Les ballons à sels hygroscopiques, c’est la technique qui intéresse particulièrement notre territoire de Vienne Condrieu agglomération. Tout part d’un radar de détection des cellules orageuses et d’un logiciel d’évaluation des risques de chute de grêle, quasi en temps réel, qui couvre un rayon de 30km. Les ballons, gonflés à l’hélium, embarquent des torches chargées de sels hygroscopiques. Une fois l’altitude déterminée atteinte, une micro puce déclenche l’embrasement de la torche. Les sels sont libérés, le ballon éclate et la formation de petits grêlons, moins destructeurs, sont formés. L’investissement est assez important, puisque baptisé « Skydetect », le dispositif anti grêle a un coût : quelque 200.000 euros, dont 60.000 euros pour le radar. Chaque tir revient à 380 euros. Le bénévole ou le vigneron, formé au lâcher de ballons, est alerté une première fois une ou deux heures avant l’orage. Si la cellule se confirme un deuxième alerte est envoyée et la procédure doit être déclenchée. Notons que "skydetect" est un dispositif de la société SELERYS, en position de monopole, ce qui pose d’ailleurs question ...

Les viticulteurs des appellations Condrieu, côte-Rôtie et Vitis Vienna, ainsi que les arboriculteurs de Loire-sur-Rhône, sont regroupés au sein de l’association de défense contre la grêle en Pilat rhodanien. 70 000 Ha de Serrières (07) à Seyssuel (38) sont couverts par le dispositif sur les deux rives du Rhône.
L’association a sollicité et obtenu en 2022 une subvention de la part de Vienne Condrieu agglomération, à raison de 8€/Ha de vigne, et 16€/Ha maraicher ou arboricole, et ce, pour une durée de 4 ans. Avec 555 Ha de vignoble et 115Ha de vergers, le montant de la subvention est de 6280€ par an, soit 25 120€ au terme de la convention. (Délibération du conseil communautaire de Vienne Condrieu agglomération du 25 janvier 2022). On suppose que VCA a des preuves de l’efficacité du dispositif pour lui confier de l’argent public ? Mais alors cette efficacité ne serait prouvée que par la société SELERYS ?

Considérant que les orages ne produisent pas tous de la grêle (et ceux qui le font vont en donner de différentes grosseurs, selon les conditions atmosphériques) il n’est donc pas possible, pour un utilisateur de ballon, de savoir si son dispositif a eu un impact réel. Vu la complexité des phénomènes atmosphériques et la grande variabilité dans le temps et dans l’espace des précipitations, la mise en évidence de l’efficacité des ensemencements de nuages est une tâche difficile.
Certains professionnels et scientifiques considèrent que l’effet des ensemencements pourrait être néfastes voire dangereux, en n’empêchant pas la croissance des grêlons tout en augmentant leur nombre. En France, dans le cadre des opérations de l’Anelfa (association Nationale d’Etude et de Lutte contre les Fléaux Atmosphériques ), Jean Dessens a observé une diminution des pertes aux récoltes mesuré à l’aide de données d’assurance, puis une diminution de l’intensité des chutes de grêle à l’aide des mesures physiques obtenues avec des grêlimètres. Cependant, ses résultats ont été fortement critiqués, une seconde analyse statistique ne montrant aucune efficacité des dispositifs.
L’ANELFA a d’ailleurs choisi les générateurs à iodure d’argent, et pas les ballons à sels hygroscopiques, et déclare que « Diverses études permettent de comprendre qu’une action isolée et limitée ne pourra pas avoir d’effet sur un orage et que le dispositif de l’Anelfa sur une large zone, même s’il est plus difficile à mettre en place répond mieux au schéma structurel des orages. »

Si ces dispositifs ont une efficacité incertaine, l’appropriation et la modification de la météo locale par un acteur économique pose de légitimes questions. Si ces systèmes n’ont pas d’efficacité prouvée, ils constituent un aléa météorologique qui ajoute au dérèglement climatique un nouveau facteur d’origine anthropologique. Certains riverains et habitants disent que les orages de la rive droite du Rhône sont systématiquement repoussés sur la rive gauche par l’excès de tirs lors d’épisodes orageux. D’autres habitants constatent l’absence presque totale de pluie au droit des parcelles arboricoles donc sur le village.
D’autres filières agricoles craignent que la lutte anti-grêle aggrave la sécheresse. Connaissant la difficulté d’une expérimentation en grandeur réelle compte tenu des aléas de la climatologie, il serait toutefois souhaitable d’enfin disposer d’études scientifiques sur cette question. Le caractère aléatoire, jusqu’à preuve du contraire, des dispositifs anti-grêle, empêche une régulation naturelle de la pluviométrie, ce qui est proprement dangereux pour la ressource. Nous ne pouvons ajouter au dérèglement climatique une modification météorologique qui impacte la population, sans savoir si celle-ci a de réels effets protecteurs.
Alors que nous avons vécu un été 2022 extrême du point de vue de la sécheresse et de la ressource en eau, l’Etat doit veiller à ce que notre bien commun le plus précieux soit protégé. On constate que l’accompagnement du secteur viticole est important lors des épisodes de calamités agricoles, de la part de l’Etat et des collectivités locales. C’est par ailleurs une corporation véritablement cajolée en temps ordinaire. Les producteurs de vin bénéficient d’une bienveillance hors norme. Au nom de la politique commerciale de la France notamment, car le vin est un exportateur très important, et dans une balance commerciale calamiteuse (déficitaire de près de 150 milliards d’euros) cela pèse lourd, très lourd. On sait aussi que les collectivités locales calquent leur politique de tourisme sur ce secteur à forte plus-value. Et Vienne n’est pas en reste. C’est bien simple, le vin est le cœur même du tourisme de l’agglo. Les producteurs de VCA cherchent d’ailleurs encore à acquérir des parcelles sur la rive gauche, pour obtenir l’AOC Côtes du Rhône à Chasse sur Rhône, Seyssuel, Vienne et vendre leur vin hors de prix que nous n’avons pas les moyens de nous payer, nous. Mais nous, nous voulons des producteurs de fruits, légumes, légumineuses, des paysans qui nous nourrissent, pas qui font du blé avec nos terres.… Doit-on en plus de tout cela, laisser les producteurs jouer avec les nuages, la pluie, la météo dans ces heures si grave pour l’eau et la terre ?

suggestion article