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Récit d’une garde à vue antiterroriste

La veille de la dissolution des Soulèvements de la Terre, une opération anti-terroriste avait été organisée contre des écologistes dans toute la France.

🌿 ENQUÊTE DE TERRAIN AU 4E SOUS-SOL DE L’ANTI-TERRORISME

La veille de la dissolution des Soulèvements de la Terre, une opération anti-terroriste avait été organisée contre des écologistes dans toute la France. L’un d’eux, enlevé à l’aube à Notre-Dame-des-Landes, raconte ces quatre journées éprouvantes dans les cachots anti-terroristes, les moyens colossaux déployés et l’imbécillité féroce de la police. Une texte lire et faire lire partout dont voici des extraits :

« Notre-dame-des-Landes, mardi 20 juin, il est 6h du matin. L’heure des mauvaises nouvelles en uniformes, des colonnes de fourgons blindés et des destructions. L’instant où se sont froissées de trop nombreuses fois les aubes de la ZAD ces quinze dernières années, sans pour autant nous décourager de nous y ancrer.

La nuit a déjà été brève. Je dois prendre un train tôt en direction de Paris et y retrouver mes camarades pour faire front face à la dissolution, annoncée pour le lendemain, des Soulèvements de la Terre. Ma compagne est réveillée par une série de cris, nous entrouvrons précipitamment la porte de la caravane pour vérifier. Des policiers cagoulés courent en braquant des armes partout dans le jardin. Ils hurlent « cible » en nous apercevant avant de nous mettre à terre à moitié nus et menottés dans l’herbe. Le seul homme dont on voit le visage, et qui semble diriger les opérations, m’annonce que je pars pour 96h en gare-a-vue pour « association de malfaiteurs et dégradation aggravée en bande organisée d’une usine Lafarge à Marseille ». […]

Des fragments de nos vies punaisés aux murs sont pris en photo. Les nouveaux scellés ne sont même pas finis que certains policiers s’agitent pour faire repartir la troupe. L’officier qui m’interrogera par la suite ne cessera de se plaindre que les « bourrins cagoulés » de la BRI aient poussé à « bâcler » la perquisition de peur que des « ZADistes » hostiles ne débarquent à n’importe quel moment de par les champs et fassent dérailler l’opération. Comme quoi, mieux vaut parfois maintenir une petite réputation de ne pas toujours accueillir les bras ouverts certains types de visite.

On m’emmène dans une voiture entre 3 policiers qui me me bandent les yeux. Une fois la ceinture attachée avec les menottes les mains dans le dos, ils m’appliquent, en bonus, un masque chirurgical sur le visage. Je refuse sachant qu’il s’agit pour eux de prendre mon ADN « par ruse ». Ils m’en couvrent de force en arguant que « c’est la procédure ». [...]

J’apprendrai plus tard que certain.es de mes voisin.es ont aussi été réveillées brutalement dans plusieurs autres maisons de la ZAD. Dans l’une d’elles, la Brigade Antigang s’est illustrée en attaquant laborieusement au bélier pneumatique une porte dont l’ouverture aurait simplement nécessité d’en tourner la poignée. Les cadors se sont rendus compte qu’ils n’avaient pas envahi la bonne maison. Ce qui n’a pas empêché l’un d’entre eux de mettre un coup de poing à son habitante et de la projeter à terre avant de l’enfermer dans une pièce avec son enfant de 4 ans, sous la garde d’un flic armé [...] je comprends vite que je pars en fait pour un voyage prolongé jusqu’en périphérie parisienne. Je conserve les mains menottées derrière le dos, la bouche et les yeux bandés pendant les 5 heures qui suivent. […]

Quand on me démasque les yeux, je suis sous un néon dans une cellule immaculée, un univers de métal plein étouffé jusqu’auquel ne parviendront jamais ni la lumière du jour ni son extérieur.

Je suis interrogé, de même que pendant tout le reste de ma garde à vue, par une seule personne : le capitaine Z. Chaque audition est filmée et enregistrée. […] Z. donne des signes d’une forme de passion assez préoccupante pour son métier et cette affaire. […]

Mon avocat lui fait remarquer que quand il ne s’agit pas d’actes dirigés contre des personnes, on ne peut pas parler, en droit, de « violence ». Le terme de « violence », qui plus est « extrême » est donc parfaitement inapproprié pour qualifier les dégradations matérielles ayant visés l’usine Lafarge. […] Je lui fais observer plus tard hors audition que la crise climatique est pour le coup sans nul doute « une violence extrême », et que la SDAT n’a pourtant pas trop l’air de chercher ses « nouveaux débouchés » dans la poursuite des responsables de ce qui est d’ores et déjà la cause d’un nombre ahurissant de morts et de vie mutilées à l’échelle de la planète.

[…]

La taille du dossier d’instruction encore incomplet est de 14 000 pages, ce qui représente à ce que l’on en comprend six mois de plein emploi pour un nombre significatif de policiers, et donne une idée du sens des priorités dans l’exercice de la justice dans ce pays. A sa lecture ultérieure et en y explorant dans le détail l’amplitude des moyens qu’ont jugé bon de déployer les enquêteurs pour venir à la rescousse de Lafarge, les mis en examen constateront qu’ils avaient effectivement carte blanche. L’officier concède d’ailleurs à mon avocat que la police est, ces dernières années, une des institutions les mieux dotées financièrement du pays, et admet que leurs syndicats font quand même bien du cinéma.

[…]
Au 2eme jour, je suis emmené dans une nouvelle pièce pour le prélèvement de l’ADN et des empreintes. La coutume à Levallois est que le refus d’ADN soit systématiquement poursuivi par le parquet local et condamnable théoriquement à 1 an de prison.Grand prince au royaume de l’absurde, l’officier me fait en effet savoir lors d’une audition qui suit que je ne serais finalement « pas poursuivi » pour refus puisqu’ils m’ont effectivement « de toute façon déjà pris mon ADN avec le masque chirurgical dans la voiture » . Il s’agissait simplement de maquiller d’un vernis de consentement ce qui a déjà été obtenu par la contrainte ou la ruse.

[…]

Des dizaines de personnes ont fait l’objet de mesures d’espionnages soutenues de leurs vies et engagements. Tous les moyens à leur disposition reliés à la téléphonie et à l’univers numérique semblent avoir été mis en œuvre : écoute des appels et retranscriptions des SMS, prélèvements de tous les numéros composés et des antennes relais sur lesquels les téléphones ont borné, demande de géolocalisation en direct, étude du trafic internet et des sites visités, demandes croisées auprès de Facebook, Twitter, Instagram pour connaître le type d’activités, recherche de méta-données sur des photos publiées sur des sites, analyse de voix sur des vidéos, recoupements avec des écoutes demandées dans d’autres enquêtes politiques... Un logiciel espion classé secret défense a même été mis, avec la complicité de la DGSI, à l’intérieur d’un smartphone, probablement lors d’une intrusion dans l’appartement de la victime, afin d’accéder à son insu à ses conversations chiffrées sur Signal, au stockage de ses données et à ce qui apparaissait sur son écran.

[…]

Au-delà du règne moderne de la téléphonie numérique et dans un périmètre de plusieurs kilomètres autour des lieux des faits, des objets et déchets en tout genre ont été ramassés, avec l’appui de la garde nationale, et mis en laboratoire pour y trouver traces d’ADN et empreintes. Dans ce même périmètre des demandes d’images de caméras de bus, commerces et caméras de rue privées ou publiques ont été faites puis analysées pour y déceler des comportements […] des observations des comportements de certain.es lors de rassemblements et réunions publiques, et une analyse minutieuse d’une foule de textes et autres posts sur les réseaux sociaux. Des filatures pédestres et motorisées quotidiennes avec photos à l’appui ont été mise en œuvre. Et comme le temps de la garde à vue leur offre encore de nouvelles opportunités, j’apprendrai par la suite qu’il a été proposé à une personne arrêtée que sa garde-à-vue se conclue immédiatement et de recevoir des sommes d’argents régulières si elle acceptait de devenir indic.

[…]

La proximité géographique possible de certains de ses membres dont les téléphones bornent dans une même ville la semaine d’avant indique forcément une réunion. Le fait que les téléphones d’autres de ses membres ne bornent pas à ce moment là, prouve bien aussi leur présence à cette réunion. Et puisque ces personnes se seraient donc réunis 7 jours avant les faits et à 300km de ceux-ci, c’était forcément pour organiser cette action. […] En ce qui me concerne, ce qui m’est reproché tient au fait que j’aurai participé à cette supposée réunion, je devrais naturellement être le concepteur de ce qui s’est passé à Bouc-Bel-Air.

[…]

Il veux savoir si j’ai lu les brochures visant à attaquer les Soulèvements de la Terre, de ceux qu’il qualifie d’« anarchistes individualistes ». Les accusations portées à notre égard y sont selon lui fort instructives et mettent en cause les faits et gestes de certaines personnes d’une manière qui s’avère sans doute pertinente pour l’enquête. C’est notamment à partir de ces fables intégralement versées au dossier que la SDAT justifie certaines des arrestations, et fonde une partie de la structure incriminante de son récit sur ces « cadres des Soulèvements » qui resteraient « au chaud » en envoyant d’autres personnes au charbon. Ce sont d’ailleurs ces mêmes pamphlets, publiées sur certains sites militants, que le ministère de l’Intérieur reprend avec application pour fournir des « preuves » de l’existence et de l’identité de certains soit-disant « dirigeants », et alimenter, dans son argumentaire sur la dissolution, l’idée d’un mouvement « en réalité vertical ».

Le pire de ce que produit l’agro-industrie nous est servi 3 fois par jour dans une barquette et risque peu d’entamer nos convictions à ce sujet. […] Quand je suis emmené pour la dernière fois dans son bureau pour l’audition finale, il ne nous cache cette fois pas sa forte déception et l’étonnement des enquêteurs de ne pas avoir été suivis par la juge. L’un deux soufflera d’ailleurs à une autre personne que celle-ci est « à moitié en burn out ». Lui confirme en tout cas qu’elle a estimé que « les conditions de sérénité des débats n’étaient pas réunies » […]

Histoire de ne pas me laisser repartir les mains vides Z. me transmet, ainsi qu’à un autre de mes camarades de couloir, une convocation pour une nouvelle garde-à-vue la semaine suivante – cette fois pour l’organisation de deux manifestations interdites à Sainte-Soline. Trois policiers me bandent les yeux, me font remonter les étages et me fourrent de nouveau dans une voiture pour me déposer seul devant un bouche de métro. »

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Texte intégral : blogs.mediapart.fr/les-ami-es-des-soulevements-de-la-terre

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